La Région de Bruxelles Capitale condamnée à suspendre l'urbanisation de la ville.
Un jugement dans la continuité du combat citoyen

14/11/2025 - Par jugement prononcé ce mercredi 29 octobre 2025, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles condamne la Région de Bruxelles-capitale à “prendre les mesures nécessaires pour suspendre l’urbanisation et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis de plus de 0,5 ha sur son territoire, et ce, jusqu’à l’adoption du PRAS [...] et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2026”. Un jugement, fort contesté par les autorités régionales, mais qui s'inscrit dans la continuité de combats de citoyens soucieux de mettre le pouvoir politique devant ses responsabilités.
Une décision historique
C’est la première fois que dans le cadre d’un contentieux climatique, un tribunal ordonne un moratoire sur la construction sur les espaces non-bâtis à l’échelle de toute une ville au motif que la poursuite de son urbanisation et de son imperméabilisation contrevient aux obligations de droit international de lutter contre les causes du changement climatique et d’adapter la ville à ses conséquences inéluctables.
L’affaire a été portée en justice par l’association WeAreNature.Brussels, l’association Bruxelles Nature ainsi que par 1330 citoyennes et citoyens bruxellois. Cette décision remarquable est la continuité d'une énergie citoyenne qui met les autorités publiques face à leurs responsabilités.
Quand la justice condamne les autorités pour négligence climatique
En 2025, le changement climatique n’est plus une menace lointaine, mais une réalité qui frappe chaque jour un peu plus fort les Européens : canicules meurtrières, inondations dévastatrices, montée des eaux… Face à l’urgence, les citoyens et les associations se tournent de plus en plus vers la justice pour faire reconnaître la responsabilité des États et des autorités régionales ou locales. En quelques années, l’Europe est devenue le théâtre d’une révolution juridique : les autorités publiques sont désormais poursuivies et parfois condamnées pour négligence dans la protection de leurs administrés. Retour sur l’histoire de ce contentieux climatique.
Les prémices : l’Europe s’éveille (années 2000-2010)
Au début des années 2000, l’Europe commence à prendre la mesure de l’urgence climatique. Le Protocole de Kyoto (1997) et le Paquet climat-énergie (2008) fixent des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, sur le terrain, les actions concrètes se font attendre.
C’est dans ce contexte que les premiers contentieux climatiques émergent, souvent portés par des associations environnementales. Les recours visent d’abord les États, accusés de ne pas respecter leurs engagements. En 2008, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rappelle aux États membres leur obligation de respecter les directives sur la qualité de l’air – un premier pas vers la reconnaissance d’une responsabilité juridique en matière environnementale.
L’affaire Urgenda, un tournant historique (2015-2019)
Tout bascule en 2015 avec l’affaire Urgenda, du nom de l’ONG néerlandaise qui, avec 900 citoyens, poursuit les Pays-Bas pour inaction climatique. Leur argument ? La politique de réduction des émissions du gouvernement est insuffisante pour protéger les droits fondamentaux des Néerlandais, notamment leur droit à la vie et à la santé.
Le verdict est édifiant : le tribunal de La Haye condamne l’État à réduire ses émissions de 25 % d’ici 2020 (par rapport à 1990). C'est une première mondiale. En 2019, la Cour suprême des Pays-Bas confirme cette décision, faisant des Pays-Bas le premier État condamné pour manquement à son devoir de protection climatique.
Cette affaire est importante en ce qu'elle ouvre la voie à des recours similaires dans toute l’Europe ; elle établit un lien direct entre droits fondamentaux et obligation d’agir contre le changement climatique. Enfin, elle inspire les citoyens et les associations à se saisir de la justice pour faire bouger les lignes.
Les États dans le collimateur
En France, le 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement historique (encore un) : pour la première fois en France, il a enjoint à l’État de réparer les conséquences de ses carences dans la lutte contre le dérèglement climatique. Quatre associations engagées pour l’environnement – Oxfam France, Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme et Greenpeace France – ont saisi le tribunal pour faire constater l’inaction de l’État français dans la lutte contre le changement climatique, obtenir réparation pour le préjudice moral et écologique subi, et contraindre l’État à respecter ses obligations en la matière. C'est l'Affaire du Siècle.
En Allemagne, en 2021, la Cour constitutionnelle juge que la loi climatique du pays est partiellement inconstitutionnelle, car elle reporte trop d’efforts sur les générations futures. Résultat ? Le législateur doit préciser les objectifs de réduction après 2030.
Partout en Europe, les États sont attaqués : en Belgique, l’association Klimatzaak poursuit avec succès l’État pour manquement à son devoir de protection climatique. En Irlande, la Cour suprême annule le plan national climat, jugé trop vague.
Condamnations au niveau européen, effets dilués ?
La Cour de justice européenne a condamné la Bulgarie (2017), la Pologne (2018), l'Italie (2020), l'Allemagne (2021) et la France (2022) pour non-respect des normes sur la qualité de l'air ambiant : malgré la mise en place de programmes (de remplacement de chaudières, par exemple), les grandes villes de ces pays restent parmi les plus polluées d'Europe et ces pays restent "sous surveillance".
Dans son arrêt d'avril 2024, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la Suisse pour violation de la Convention des droits de l'homme, donnant raison à l'association "Aînées pour le climat" qui attaquait l'inaction de la Suisse face au changement climatique. C'est un tournant, au niveau européen, dans les luttes citoyennes en ce que cette condamnation lie climat et droits fondamentaux. Cela n'empêchera pas le Parlement suisse (Chambres fédérales) de recommander le rejet de l'arrêt, estimant que les politiques climatiques helvétiques étaient déjà efficaces... Les KlimaSeniorinnen prévoient un retour en justice si aucune réforme substantielle n'intervient d'ici fin 2025.
Cette même Cour condamne l'Italie en 2025 pour son inaction face aux dépôts de déchets toxiques par la mafia en ce qu'elle viole les droits humains. Dans cet arrêt, la Cour consacre explicitement le droit à un environnement sain comme un droit fondamental, nécessaire à la jouissance d’autres droits humains, notamment le droit à la vie (art. 2) et le respect de la vie privée (art. 8) (détails ici).
Le nécessaire combat local
Aux premières loges, les citoyens et les associations savent bien que l’adaptation climatique est aussi une responsabilité locale.
Aujourd'hui, c'est la Région de Bruxelles Capitale qui est mise face à ses responsabilités. La décision du tribunal est sans équivoque : en continuant l’urbanisation de son territoire comme elle le fait, la Région manque à son obligation générale de prudence face aux enjeux climatiques. Le moratoire est donc imposé, et la Région contrainte à « prendre les mesures nécessaires » pour « suspendre l’urbanisation et l’imperméabilisation des sites et terrains non bâtis de plus de 0,5 ha ». Le lien est donc fait entre "urbanisation" et "risque climatique". Il fera jurisprudence.
Ces jugements exposent le fossé entre élus et citoyens
Il ne sert à rien, pour la Région de Bruxelles Capitale, de se fixer des objectifs comme "Réduire d'au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005 dans le secteur non-ETS (secteurs hors quotas d'émission européens) d'ici 2030." quand elle ne sait pas mesurer sa capacité d'absorption par les puits naturels...
Il ne suffit pas de déclarer dans le Plan Air Climat Énergie (p.90) vouloir "optimaliser la gestion de la canopée régionale et anticiper son évolution et ses vulnérabilités, via, entre autres, la création d’un cadastre régional unifié des arbres, qui intègre les patrimoines des différents pouvoirs publics pour développer une vision quanti-qualitative de la canopée sur le domaine public." Cette intention révèle, à elle seule, le retard abyssal de la Région en ces matières : elle ne peut bien sûr pas optimaliser (que veut dire ce mot ?) ce qu'elle ne connaît toujours pas : en 5 ans de législature, le fameux cadastre est encore dans les limbes.
Il ne suffit pas de dire et faire des plans. Les États, les Régions, les Communes doivent prendre des engagements SMART : spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes, temporellement définis. Ces engagements servent de repères pour les autorités, les citoyens et les associations, tous directement concernés. Les plans doivent être concrétisés. Mesurés. Évalués. Co-construits avec les citoyens. Et surtout : respectés. Car c’est leur mise en œuvre, transparente et suivie (avec leurs lots sincères d'échecs et de réussites), qui donnera leur bien-fondé aux politiques publiques et nourrira la confiance de tous.
Pour aller plus loin :
Vers une responsabilité individuelle des États dans les contentieux climatiques devant les tribunaux internes ? Analyse de l’arrêt Urgenda et de l’Affaire du Siècle, Par Zoé Briard, e-legal, Volume 7
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